Les collectivités publiques subissent régulièrement les affres des occupations illégales et irrégulières de leurs domaines publics, que cela soit par des personnes qui ne s’encombrent pas des questions d’autorisation d’occupation du domaine ou encore parfois par des personnes issues de la communauté des gens du voyage : des armes juridiques existent mais sont finalement bien plus souvent incitatives que contraignantes. 

 

  • Les règles d’utilisation du domaine public : une autorisation, précaire, révocable, sans droit acquis, et en principe une utilisation payante :

 

 Avant toute chose, il doit être rappelé le domaine public ne peut être légalement occupé sauf à ce que l’occupant bénéficie d’une autorisation expresse, étant précisé que toute occupation du domaine public est par nature précaire et révocable et ne peut créer aucun droit à renouvellement :

L’article L.2122-3 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques dispose en effet que «  L’autorisation mentionnée à l’article L. 2122-1 présente un caractère précaire et révocable. »

Et l’article L.2122-1 du même Code dispose que « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous. (…) »

Ainsi, par principe, les autorisations d’occupation du domaine public ont un caractère personnel et ne sont pas cessibles et il n’y a nul droit acquis à renouvellement (CE, n°95857, 14 octobre 1991 ou CE, 23 mai 2005, n° 271507)

Les dispositions de l’article L.2125-1 du Code Général de la Propriété es Personnes Publiques fixent aussi le principe du caractère onéreux de l’occupation ou de l’utilisation du domaine public (même si ce principe souffre de quelques exceptions notamment pour les association à but non lucratif), le juge administratif rappelant que la redevance constitue une sorte de compensation des avantages qui sont procurés au bénéficiaire d’une telle autorisation d’occupation (CAA Marseille, 6 décembre 2004, req n° 00MA01740).

 

  • L’expulsion du domaine des personnes publiques : une voie juridictionnelle

 

En matière d’occupation illicite du domaine public comme d’ailleurs du domaine privé, la personne publique propriétaire ne peut pas procéder elle-même directement à l’expulsion des occupants sans droit ni titre, y compris en application d’un arrêté exécutoire par lui-même.

Les Juridictions administratives (CE, n°04592, 20 juin 1980) considèrent ainsi que le Maire ne peut agir d’office aux fins de démolition ou d’installation d’ouvrages installés irrégulièrement sur le domaine public, et ce sauf urgence née d’un péril grave et imminent sur le fondement de ses pouvoirs de police générale (article L.2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales).

Quelle juridiction compétente selon quelle typologie de terrain occupé ?

S’il est d’usage de présenter le Juge Administratif comme le véritable « gardien » du domaine public (Tribunal des Conflits, 24 septembre 2001 (n° 3221), établissant de la sorte une compétence de droit commun, trois hypothèses tiennent en échec ce postulat : la voie de fait, la contestation sérieuse en matière de propriété et la répression des atteintes à l’intégrité du domaine public routier pour lesquelles le Juge judiciaire est compétent.

Sur la compétence de la juridiction judiciaire en matière de domanialité publique routière, on rappellera d’abord que l’article L.2111-14 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CG3P) définit ainsi le domaine public routier : « Le domaine public routier comprend l’ensemble des biens appartenant à une personne publique mentionnée à l’article L. 1 et affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l’exception des voies ferrées. »

Et l’article L.111-1 du Code de la Voirie Routière dispose que : « Le domaine public routier comprend l’ensemble des biens du domaine public de l’Etat, des départements et des communes affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l’exception des voies ferrées. (…) »

Ainsi, le domaine public routier comprend les biens du domaine public appartenant à une personne publique et qui sont affectés aux besoins de la circulation terrestre à l’exception des voies ferrées : Il s’agit ainsi de l’emprise de la route elle-même et de ses dépendances, c’est-à-dire des éléments autres que la chaussée nécessaire à la conservation et l’exploitation de la route ainsi que la sécurité des usagers (ex : talus et fossés, accotement, murs de soutènement, clôtures, murets, etc.)

Or,  en application des dispositions combinées des articles L.2132-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques et de l’article L.116-1 du Code de la Voirie routière, le respect de l’intégrité matérielle des voies faisant partie du domaine public routier communal et plus généralement les questions afférentes à l’occupation illégale de ce domaine relèvent de la compétence du juge judiciaire.

On notera encore que l’occupation de terrains relevant du domaine privé des collectivités publiques relève également de la compétence du Juge Judiciaire, et en l’occurrence du Tribunal de Grande Instance territorialement compétent.

Pour sa part, le Juge Administratif est compétent pour connaitre des demandes d’expulsion du domaine public ainsi définit par l’article L. 2111-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques qui dispose que : « Seuls font partie du domaine public les biens appartenant à une personne publique et qui sont affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public, pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».

On peut préciser, parce que la question est souvent sujette à discussion, qu’un parc de stationnement, propriété d’une personne publique, affecté à l’usage du public et spécialement aménagé à cet effet constitue une dépendance du domaine public (CAA de Marseille, 12 juin 2001, Sté SOFIPARK, n° 98MA01137)

Pour résumer, la répartition des compétences juridictionnelles en la matière est ainsi déterminée :

  • si le terrain illégalement occupé relève du domaine public de la collectivité publique, c’est le Tribunal Administratif qui est compétent pour connaitre des demandes d’expulsion ;
  • si le terrain relève du domaine public routier de la collectivité publique, c’est le Tribunal de Grande Instance qui est compétent pour connaitre des demandes d’expulsion ;
  • si le terrain relève du domaine privé de la collectivité publique, c’est le Tribunal de Grande Instance qui est compétent pour connaitre des demandes d’expulsion ;

En fonction de la nature de la dépendance domaniale, les règles de procédure devant le juge administratif ou le cas échéant le juge judiciaire diffèrent quelque peu.

Quelle procédure devant le Juge administratif ?

 En application des dispositions de l’article L.521-3 du Code de Justice administrative (pour le référé dit « mesure utile »), lorsqu’il qu’une urgence est établie, et que la demande d’expulsion ne soulève aucune contestation sérieuse, la Collectivité publique peut engager un recours en référé devant le Tribunal Administratif aux fins d’expulsion, ce dernier statuant dans les plus brefs délais.

Il ressort de la combinaison des dispositions précitées du Code de Justice Administrative et de la jurisprudence, que toute personne publique qui y a un intérêt peut demander au Juge Administratif l’expulsion d’occupants sans droit ni titre du domaine public, si les conditions d’urgence, d’utilité, d’absence de contestation sérieuse sont réunies et qu’une mesure de référé peut être ordonnée sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative.

S’agissant de la condition d’urgence, dans un arrêt du 1er février 2012, le Conseil d’Etat (n°349749) avait rappelé clairement que le juge des référés, saisi d’une demande d’expulsion du domaine public, ne peut, sans commettre d’irrégularités, faire droit à une demande fondée sur l’article L.521-3 sans avoir, au préalable, recherché si la condition d’urgence était réunie.

Sans urgence, seul le Juge du fond pourra se prononcer sur une demande d’expulsion.

Ainsi, le Juge Administratif peut retenir l’urgence dans plusieurs hypothèses qui ne sauraient être exhaustives :

  • Lorsque l’occupant du domaine public ne se conforme pas aux prescriptions du règlement intérieur organisant les modalités d’occupation de ladite dépendance (CE, 16 mai 2003, n°249880).
  • Lorsque l’occupation irrégulière du domaine public compromet la continuité ou le bon fonctionnement du service public qui s’y exerce (CE, n°330184, 3 février 2010) ;
  • Lorsque l’occupation irrégulière du domaine public compromet la sécurité publique ou encore la salubrité publique ;
  • Lorsque l’occupation irrégulière du domaine public conduit à faire obstacle à la réalisation d’un projet de réaménagement du terrain irrégulièrement occupé ou à l’arrivée d’un nouvel occupant ;

 En matière de gens du voyage irrégulièrement implantés sur un terrain relevant d’un domaine public, l’urgence est bien souvent justifiée par des problématiques de sécurité et/ou de salubrité publique.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu considérer que les conditions d’urgence mais également d’utilité étaient satisfaites dès lors que l’implantation de familles issues de la communauté des gens du voyage, dans un lieu dépourvu d’installations sanitaires et où les ordures s’entassaient, posait un problème de salubrité publique (Conseil d’Etat 5 mars 2014, req n°372422).

Le Juge des référés du Tribunal Administratif est donc saisi par voie d’une requête et se prononce par voie d’ordonnance, laquelle peut prévoir à la demande du requérant, l’octroi de la force publique afin de mettre un terme à l’occupation illégale.

On notera que s’agissant de l’exécution d’une ordonnance d’expulsion régulièrement ordonnée par le juge des référés, une personne publique dispose des compétences suffisantes pour assurer seule son exécution, en requérant le cas échéant le concours de la force publique. 

Avant d’engager une telle procédure d’expulsion d’occupant illégaux du domaine public, il faut :

  • réunir tous les éléments utiles de nature à justifier que le terrain illégalement occupé fait bien partie du domaine public ;
  • fournir tout élément justificatif permettant de justifier de l’urgence à expulser les occupants sans droit ni titre du domaine public : un constat d’Huissier de Justice bien précis et étayé consolide très sérieusement la procédure.
  • informer les occupants sans titre du domaine public de la procédure envisagée, à savoir une saisine du Juge des Référés du Tribunal Administratif aux fins d’expulsion et de les mettre en demeure par écrit de quitter les lieux dans un délai court en les invitant à présenter d’éventuelles observations (conformément aux dispositions de la Loi du 12 avril 2000 codifiées au Code des Relations entre le Public et l’Administration).

Quelle procédure devant le Juge judiciaire ?

En cas d’occupation illégale du domaine privé d’une collectivité publique (ou d’occupation du domaine public routier), la juridiction compétente est le tribunal de grande instance du lieu de situation l’occupation illégale.

Devant le Tribunal de Grande Instance, deux cas de figure se présentent selon que l’on connait ou non l’identité des occupants illégaux :

  • en cas de connaissance de l’identité des occupants, la personne publique assigne devant le TGI par voie d’huissier de justice aux fins d’expulsion, sur le fondement des dispositions des articles 485 et 809 du Code de Procédure Civile dans le respect des règles du contradictoire ;
  • en cas d’impossibilité manifeste de connaitre l’identité des occupants, la personne publique présenter une requête aux fins d’expulsion devant le Président du Tribunal de Grande Instance.

L’ordonnance d’expulsion des occupants illégaux rendue par le TGI est exécutoire de plein droit : elle doit cependant être signifiée par voie d’Huissier de Justice qui délivre concomitamment un commandement de quitter les lieux sur le fondement de l’ordonnance et peut procéder à son exécution y compris en sollicitant le concours de la force publique si l’ordonnance le prévoit.

On observera que ces procédures juridictionnelles, dès lors qu’elles sont déclenchées, ont plus souvent pour effet d’inciter les occupants illégaux à quitter les lieux, ou à régulariser leur situation, avant que n’intervienne la décision juridictionnelle.

 

  • L’évacuation administrative des gens du voyage du domaine des personnes publiques sous conditions :

 

Sans préjudice des procédures juridictionnelles susvisées qui sont toujours susceptibles d’être engagées, une procédure administrative à la main de l’autorité préfectorale permet de répondre parfois plus facilement et plus rapidement, ce qui est appréciable en la matière, à la finalité de faire libérer les terrains illégalement occupés.

Les articles 9 et 9-1 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage prévoit une procédure d’évacuation administrative qui suppose la réunion de plusieurs conditions :

  • la commune doit remplir ses obligations au titre du schéma départemental d’accueil des gens du voyage , ou ne pas être soumise à de telles obligations ;
  • un arrêté doit interdire l’installation des gens du voyage en dehors des aires et terrains d’accueil existent en conformité avec le Schéma Départemental ;
  • le stationnement illicite doit porter atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publique.

Si ces conditions sont réunies, non seulement le maire mais également le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain occupé, sollicite le Préfet aux fins d’engagement de cette procédure administrative d’évacuation forcée.

Le Préfet met alors en demeure les occupants de quitter les lieux, dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures, cette mise en demeure étant notifiée aux occupants et publiée en mairie et sur les lieux.

En l’absence de suite donnée à cette mise en demeure de quitter les lieux, le préfet peut procéder à l’évacuation forcée.

Cette procédure administrative a le mérite d’être en les mains du Préfet, mais suppose des conditions qui ne sont pas toujours réunies.

Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU, Avocat Associé, ATV AVOCATS ASSOCIES