Cour de cassation, Chambre civile 3, 21 mars 2024, n°22-18.694
Les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant qui ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.
Voilà, en synthèse, l’apport de la décision commentée qui revient significativement sur le mouvement jurisprudentiel initié par la Cour de cassation en 2017.
Pour apprécier l’étendue de ce revirement, revenons, tout d’abord, sur les décisions précédentes de la Cour de cassation mais aussi sur la lettre des articles 1792 et suivants du Code civil.
Une conception extensive de l’ouvrage ayant donné naissance au quasi-ouvrage
Par plusieurs décisions rendues en 2017 et au prix d’une interprétation plus qu’extensive des articles 1792 du Code civil, la Cour de cassation étendait le domaine de la responsabilité décennale à l’ensemble des désordres découlant de l’installation d’un élément d’équipement sur ou dans un ouvrage existant dès lors qu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cour de cassation, Chambre civile 3, 15 juin 2017, n°16-19.640).
Poursuivant dans sa logique, la Cour de cassation a également considéré que face à de tels désordres, la mise en jeu de l’assurance obligatoire en matière décennale était envisageable, allant ainsi à contre-courant de l’article L.243-1-1 II du Code des assurances (Cour de cassation, Chambre civile 3, 26 octobre 2017, n°16-18.120).
Cette position jurisprudentielle conduisait ainsi le juge à admettre l’engagement de la responsabilité décennale :
- En cas de dysfonctionnement d’une pompe à chaleur (Cour de cassation, Chambre civile 3, 15 juin 2017, n°16-19.640, précité),
- Lorsqu’un insert de cheminée endommage l’immeuble (Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 septembre 2017, n°16-17.323).
L’extension du champ de la responsabilité décennale à ces éléments d’équipement a donné naissance à la notion de quasi-ouvrages pour les désigner.
Notons que le juge administratif semble s’inscrire dans la même lignée en retenant que la responsabilité décennale peut être recherchée pour des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage s’ils rendent celui-ci impropre à sa destination (Cour administrative d’appel de Nancy, 30 mai 2017, n°16NC00253 ; voir également : Cour administrative d’appel de Bordeaux, 6 juin 2019, n°17BX00415).
Un retour à une conception de l’ouvrage conforme à la lettre des articles 1792 et suivants du Code civil
Désormais, par cette décision, la Cour de cassation abandonne sa conception extensive de la notion d’ouvrage pour s’inscrire dans le strict respect des principes édictés par les articles 1792 et suivants du Code civil.
Ainsi, les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant (en l’occurrence il s’agissait à nouveau d’un insert de cheminée) ne constituent pas des ouvrages au sens de ces articles précités.
En conséquence, ces équipements ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, et cela quel que soit le degré de gravité des désordres.
Ils relèvent ainsi de la seule responsabilité contractuelle de droit commun, et ne sont pas soumis à l’assurance obligatoire des constructeurs.
On notera le caractère pragmatique de ce revirement jurisprudentiel, la Cour indiquant avoir consulté les organisations professionnelles de la construction et expliquant une fois n’est pas coutume, que ce retour à une approche plus stricte des articles précités du Code civil se justifie par le fait que l’approche extensive n’a pas permis une protection accrue des maîtres de l’ouvrage ni une meilleure indemnisation de ces derniers.
Reste à savoir si le juge administratif suivra ce courant jurisprudentiel ou maintiendra la conception étendue de la notion d’ouvrage aux éléments d’équipements dissociables de l’ouvrage mais rendant ce dernier impropre à sa destination.
Rappelons, enfin, qu’en application de l’article 1792-3 du Code civil, les dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement qui font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert de l’ouvrage relèvent de la garantie décennale.
Le caractère indissociable de l’élément d’équipement suppose que sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de l’ouvrage.
Préconisations pour les maîtres d’ouvrage personnes publiques
Cette jurisprudence, qui rebat significativement les cartes en matière de responsabilité des constructeurs, est applicable aux instances en cours devant le juge judiciaire sous réserve qu’elle ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d’accès au juge.
Ainsi, et même s’il n’est pas acquis que le juge administratif suive le revirement opéré par la Cour de cassation, il semble nécessaire, à titre prudentiel, d’anticiper un éventuel revirement de jurisprudence du juge administratif en fondant les contentieux indemnitaires engagés par les personnes publiques, maîtres d’ouvrage, tant sur la responsabilité décennale (à titre principal) que sur la responsabilité contractuelle (à titre subsidiaire) pour les désordres résultant d’éléments d’équipement dissociables.
En effet, rappelons que la responsabilité décennale et la responsabilité contractuelle constituent deux causes juridiques distinctes pour le juge administratif.
Ainsi, une personne publique qui aurait fondé son action indemnitaire sur le seul fondement de la responsabilité décennale ne peut, pour la première fois en appel, rechercher la responsabilité du constructeur sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Conseil d’État, 1er juin 1979, n°04822 ; voir également : Cour administrative d’appel de Lyon, 10 février 2000, n°95LY00023 ou encore : Cour administrative d’appel de Nancy, 11 octobre 2022, n°20NC00428).
Autrement dit, en fondant leurs demandes tant sur la responsabilité décennale que sur la responsabilité contractuelle, les personnes publiques maîtres d’ouvrages sécurisent la recevabilité de leurs moyens.
Reste que le fondement de la responsabilité contractuelle demeure moins avantageux en ce qu’il suppose de caractériser l’existence d’une faute du constructeur, contrairement à la responsabilité décennale qui édicte une présomption de responsabilité en faveur du maître d’ouvrage.
Maitre Meggane BONATO et Maitre Sébastien THOINET
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