Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 02/12/2022, 460100, Publié au recueil Lebon

 Aux termes de l’article L.2122-1-1 du CG3P, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques :

 « Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. »

Si ces dispositions ne posent nulle ambiguïté sur le fait que le titre d’occupation du domaine public des collectivités au bénéficie d’occupants qui vont y exercer une activité économique doit être précédé d’une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester, la question de l’application de cette obligation au domaine privé a été largement débattue.

Ainsi, le rapport du Président de la République relatif à l’ordonnance du 19 avril 2017 précisait que :

« L’article 3 [de l’ordonnance] impose, à la lumière de la décision de la Cour de justice du 14 juillet 2016 dite Promoimpresa Srl, de soumettre la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public et privé à une procédure de sélection entre les candidats potentiels ou de simples obligations de publicité préalable, lorsque leur octroi a pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine. Il s’agit, par là-même, d’assurer la meilleure valorisation du domaine mais également de permettre un égal traitement entre les opérateurs économiques intéressés. »

Selon la lecture du Gouvernement, l’obligation d’organiser une procédure de publicité/sélection préalable s’appliquait ainsi également sur le domaine privé, au regard du droit de l’UE :

« Prise sur le fondement de l’habilitation prévue par l’article 34 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a précisé les conditions dans lesquelles la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public est soumise à une procédure de sélection préalable des candidats potentiels ou à des obligations de publicité, lorsque ces titres ont pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur ce domaine. Cette ordonnance n’a pas modifié, en droit interne, les règles régissant l’attribution des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques. Toutefois, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 juillet 2016 « Promoimpresa » (affaires n° C-458/14 et C67/15), à la suite de laquelle a été adoptée l’ordonnance de 2017,  soumet à des principes de transparence et de sélection préalable l’octroi de toute autorisation qui permet l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel, sans opérer de distinction selon que cette activité s’exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques. Il résulte de cette jurisprudence que la délivrance de titres sur le domaine privé doit garantir dans les mêmes termes le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Ainsi, les autorités gestionnaires du domaine privé doivent donc mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques. » (Rép. min. QE n° 12868, JOAN 29/01/2019 – page 861)

 

« L’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a précisé les conditions dans lesquelles la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public est soumise à une procédure de sélection préalable des candidats potentiels ou à des obligations de publicité, lorsque ces titres ont pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur ce domaine. Cette ordonnance a mis en cohérence le droit interne avec la jurisprudence européenne (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl et Mario Melis e.a) en instituant un principe de sélection préalable des candidats à l’occupation ou à l’utilisation du domaine public en vue de garantir le respect des principes d’impartialité et de transparence. Il demeure que cette jurisprudence ne fait aucune distinction entre l’occupation du domaine public ou du domaine privé pourvu que l’autorisation administrative qui est sollicitée permette l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel. C’est pourquoi la réponse ministérielle n° 12868 du 9 janvier 2019 précise que si l’ordonnance n’a pas expressément modifié, en droit interne, les règles régissant l’attribution des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques, il apparaît que, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats doit être garanti par les autorités gestionnaires dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). Dans cette mesure, l’application de l’article L. 2221-1 du CG3P, en vertu duquel les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables, et qui fait référence au second alinéa de l’article 537 du code civil, doit nécessairement être combinée avec les règles issues du droit de l’Union européenne. Cette application doit donc se faire dans le respect des principes de transparence édictés par la jurisprudence européenne. » (Rép. Min. QE n° 16130, JO Sénat du 10/09/2020 – page 4096)

 

Etait ainsi largement attendu que le Juge Administratif suprême vienne donner son propre éclairage et tranche enfin la question et c’est ce qu’il vient de faire dans la très récente décision du 2 décembre 2022 (n°460100).

Le Conseil d’Etat juge ainsi que, contrairement aux règles qui s’appliquent au domaine public et contrairement à la lecture qui était celle du Gouvernement, les titres d’occupation du domaine privé des collectivités territoriales en vue d’une exploitation économique ne sont pas, par principe, soumis à l’obligation d’organiser une procédure de sélection présentant toutes garanties de transparence et d’impartialité :

« 6. Tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires. Si les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques cité ci-dessus, impliquent des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15),  il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive. Il suit de là qu’en n’imposant pas d’obligations de publicité et mise en concurrence à cette catégorie d’actes, l’Etat ne saurait être regardé comme n’ayant pas pris les mesures de transposition nécessaires de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que la conclusion du bail en litige méconnaîtrait cette directive, la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce, n’a pas commis d’erreur de droit. »

Le Conseil d’Etat retient ainsi que la conclusion de baux portant sur des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques ne constitue pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice qui justifierait, en application des règles européenne, de les faire précéder d’obligations de publicité et mise en concurrence.

Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU, Avocat Associé