Dans plusieurs affaires cet été, le juge administratif des référés a considéré avec constance que les pouvoirs de police des maires ne sauraient justifier des restrictions générales et trop étendues aux libertés individuelles.
Pour rappel, si au titre de leurs pouvoirs de police administrative générale les maires ont la faculté de prendre des mesures restrictives des libertés individuelles, aux fins de prévenir les troubles à l’ordre publique, la légalité de telles mesures, toujours placées sous le contrôle du Juge Administratif, suppose qu’elles répondent à une triple exigence : nécessité, adaptation et proportionnalité par rapport à l’objectif poursuivi.
C’est dans ce cadre que plusieurs communes ont édicté, au printemps et durant l’été, des arrêtés temporaires visant à limiter les regroupements susceptibles de troubler l’ordre public, circonscrits à certains lieux et à certaines plages horaires. Les juridictions administratives ont toutefois adopté une lecture particulièrement stricte de ces mesures, les suspendant presque systématiquement.
Ainsi, à titre d’exemples, le juge des référés du Tribunal administratif de LYON a pu suspendre plusieurs arrêtés « anti-regroupements » :
- un arrêté temporaire de mars 2025 visant à interdire les regroupements de nature à troubler l’ordre public dans certains lieux publics du secteur « gare », applicable tous les jours de 10h à 1h05 du 26 mars 2025 au 3 février 2026 (TA Lyon, 16 mai 2025, n° 2505227) ;
- un arrêté de mai 2025, visant à interdire la circulation des mineurs de 17 ans non accompagnés sur certains secteurs de la commune de 22 heures à 6 heures, pour la période du mercredi 28 mai 2025 jusqu’au dimanche 31 aout 2025 (TA Lyon, 27 juin 2025, n° 2507148) ;
- un arrêté de juillet 2025, visant à interdire les regroupements de nature à troubler l’ordre public dans certains espaces publics de la Commune, applicable tous les jours de 10h00 au lendemain 05h00 entre le 20 juillet 2025 et le 28 septembre 2025 (TA Lyon, 26 août 2025, n° 2510274) ;
Si ces mesures, limitées dans l’espace et dans le temps, étaient prises à la suite de troubles répétés à l’ordre public dans les secteurs visés, le Tribunal administratif en ordonnait tout de même la suspension aux motifs que, selon lui :
- La mesure préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la liberté d’aller et venir ;
- La mesure était définie en des termes jugés trop généraux, pour une durée, une zone géographique et une plage horaire journalière jugés trop importantes.
Un cas de rejet d’une demande de suspension dirigée contre un arrêté anti-regroupement peut cependant être recensé. Il concernait un arrêté de mars 2025, visant à interdire les regroupements prolongés de trois individus ou plus et de nature à troubler l’ordre public dans certains espaces publics de la Commune, applicable tous les jours entre 13h00 et 2h00 entre le 15 avril 2025 et le 15 juillet 2025 (TA Cergy-Pontoise, 17 juin 2025, n° 2509387).
En la matière, l’appréciation du juge administratif semble ainsi particulièrement sévère à l’égard des communes, eu égard à la faible limitation de la liberté d’aller et venir induite par la mesure de police.
A noter que la suspension ordonnée par le juge des référés est une mesure provisoire dont les effets perdurent jusqu’à ce que le Tribunal administratif se prononce définitivement sur le fond du dossier, généralement plusieurs mois plus tard.
Pour autant, les mesures de police telles que les arrêtés « anti-regroupements » étant, en principe, prises pour une durée de quelques mois, il n’est pas rare qu’elles ne soient plus en vigueur au jour où le Tribunal administratif jugera le fond du dossier.
Le Juge se prononcera ainsi une fois que l’arrêté aura perdu ses effets.
En définitive, l’on perçoit, à travers cette jurisprudence estivale, un paradoxe récurrent : d’un côté, le juge administratif, gardien vigilant des libertés publiques, rappelle avec constance que les atteintes à la liberté d’aller et venir ne sauraient être admises qu’à titre exceptionnel, strictement proportionné et circonstancié ; de l’autre, le Maire, dépositaire des pouvoirs de police générale, demeure incontestablement l’autorité la mieux placée pour appréhender, dans l’urgence et la proximité, les tensions concrètes de son territoire.
Ce décalage interroge. Si le contrôle juridictionnel protège avec rigueur les libertés fondamentales, il tend parfois à neutraliser, par des suspensions systématiques, l’action de l’autorité municipale confrontée à des réalités de terrain, souvent complexes et urgentes. Or, l’efficacité de la police administrative locale repose précisément sur la capacité du Maire à intervenir rapidement, avec une connaissance intime des lieux, des usages et des risques.
Dès lors, la question demeure ouverte : jusqu’où faut-il admettre que la « main du juge », garante des libertés, encadre et parfois bride la « main du Maire », garante de la tranquillité publique ? Sans doute la réponse se situe-t-elle dans une recherche constante d’équilibre, mais un équilibre dont la balance semble aujourd’hui pencher nettement en faveur de la liberté d’aller et venir, parfois au détriment de la réactivité locale.
Maitre Hugo TRIMAILLE et Maitre Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU, ATV AVOCATS