Conseil d’Etat, 19 novembre 2021, n° 437141

Le Conseil d’Etat est venu rappeler les contours classiques de l’office du juge administratif et – et c’est là tout l’apport de cette décision – lui a conféré un nouveau pouvoir, celui d’abroger un acte illégal en raison d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, intervenu en cours d’instance.

  1. L’office classique du juge administratif en matière d’excès de pouvoir : l’annulation de l’acte administratif

Dans le cadre de cette décision, le Conseil d’Etat a, dans un premier lieu, rappeler les contours classiques de l’office du juge administratif en matière d’excès de pouvoir, à savoir l’annulation d’un acte réglementaire :

« 2. Lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’un acte réglementaire, le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S’il le juge illégal, il en prononce l’annulation. »

Dans ce cadre, seule la légalité de l’acte ab initio peut être discutée. Ainsi le cadre légal et factuel au vu duquel le juge administratif exerce son contrôle est cristallisé au jour de l’édiction de l’acte. Autrement dit, le moyen tiré de ce que des circonstances postérieures l’ont rendu illégal est inopérant.

Rappelons également que l’annulation d’un acte dans ce contexte est rétroactive et l’acte illégal est censé n’avoir jamais existé, ce qui apparaît logique puisqu’il était illégal dès le départ.

  1. Sur la possibilité d’abroger un acte en raison d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, intervenu en cours d’instance

En second lieu, le Conseil d’Etat admet que le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, puisse, à titre subsidiaire, prononcer l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction :

« 3. Ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte règlementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d’annulation. »

Rappelons que l’abrogation d’un acte signifie que l’acte est annulé pour l’avenir seulement. Là-encore, cette sanction est cohérente puisqu’il s’agit de censurer la légalité de l’acte au regard d’éléments de fait ou de droit postérieurs à son édiction. Dans ces conditions, une annulation rétroactive au jour de son édiction n’apparaît pas appropriée.

Auparavant, pour obtenir l’abrogation d’un acte en raison d’un changement de circonstances de fait ou de droit, le requérant pouvait uniquement s’inscrire dans le cadre défini par la jurisprudence Despujol (Conseil d’Etat, 10 janvier 1930, n°97263, 05822). Ainsi, il devait solliciter l’auteur de la décision et lui demander d’abroger ou de modifier celle-ci. Un recours devant le juge administratif était ensuite possible en cas décision expresse ou tacite de refus.

Désormais, le juge administratif reconnaît aux requérants la faculté de solliciter, à titre subsidiaire, l’abrogation de l’acte dont ils demandent, à titre principal, l’annulation et ce, dans le cadre du même recours.

Plus précisément, sur ce point, la Rapporteur publique, plaidant pour une approche fonctionnelle du recours pour excès de pouvoir, a invité le Conseil d’Etat à « reconnaître aux requérants la faculté de présenter ces conclusions à titre subsidiaire après l’expiration du délai de recours contentieux, jusqu’à la date de la clôture de l’instruction et pour la première fois en appel » (cf. conclusions de Mme Sophie ROUSSEL, page 12).

Pour se prononcer sur la demande d’abrogation, le juge se place au jour de sa décision et statue donc au regard du droit en vigueur à cette date et en fonction des circonstances de fait existant à cette date :

« 4. Dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l’acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. »

De manière habituelle, le juge administratif pourra moduler les effets de sa décision dans le temps et prévoir que l’abrogation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine :

« 5. S’il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l’acte est devenu illégal, le juge en prononce l’abrogation. Il peut, eu égard à l’objet de l’acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu’aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l’abrogation ne prend effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine. »

Il résulte de cette jurisprudence une possible nouvelle structuration des recours en excès de pouvoir afin de solliciter :

  • A titre principal, l’annulation d’un acte réglementaire, en raison d’une illégalité existant au moment de son édiction,
  • A titre subsidiaire, l’abrogation de ce même acte, en raison d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, intervenu en cours d’instance.

Concrètement, le requérant sollicitera, dans un premier temps, et à titre principal, l’annulation de l’acte, en raison d’une illégalité présente au jour de l’édiction de l’acte.

Puis, par la suite, il pourra compléter son recours en sollicitant, à titre subsidiaire, l’abrogation de l’acte en raison d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, intervenu en cours d’instance.

Ainsi, il n’aura pas besoin de demander à l’auteur de l’acte, objet d’un recours pour excès de pouvoir, d’abroger ou de modifier celui-ci, puis de contester un éventuel refus dans le cadre d’un nouveau recours. Il pourra le faire directement dans le cadre du recours pour excès de pouvoir sollicitant, à titre principal, l’annulation de l’acte.

Par Meggane BONATO et Sébastien THOINET