La sélection des candidats admis à participer à un concours restreint de maîtrise d’œuvre s’effectue dans les conditions fixées par les articles R. 2162-15 et suivants du Code de la Commande Publique, lesquelles imposent l’intervention d’un Jury spécialement désigné.
Après analyse des dossiers de candidature, le Jury est réputé donné un avis motivé sur une ou plusieurs candidatures, afin d’éclairer l’acheteur sur son choix final, l’exigence de motivation impliquant pour le Jury de faire état des considérations de nature notamment technique et financière qui ont fondé ses choix (voir pour un rappel récent : Cour Administrative d’Appel de Nantes 22 janvier 2021, n°19NT03692)
Toutefois, le Code est muet quant au déroulement de la séance du Jury, et notamment sur la méthode devant être suivie par les membres du Jury pour procéder à un examen, logiquement collégial, des candidatures présentées.
Or, dans le cadre de concours pouvant, et c’est fréquemment le cas, donner lieu à plusieurs dizaines de candidatures, la sélection par le Jury relève parfois d’une gageure et s’avère longue et complexe.
Il arrive ainsi fréquemment que le travail du Jury soit « préparé » par un Assistant à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) de l’acheteur ayant procédé à une lecture préalable des candidatures qui peut donner lieu à un rapport remis au Jury.
Dans le cas présent, l’AMO avait remis au Jury un document procédant à un classement des candidatures selon un code de trois couleurs, en fonction du degré d’adéquation ou de similitudes des références proposées par les candidats avec le programme.
Un bureau d’architectures exclut au stade de la sélection des candidats a saisi le juge des référés précontractuels, et contestait son éviction par le Jury alors même qu’elle figurait dans le groupe « vert » censé correspondre aux candidatures présentant les références les plus adéquates au programme, de sorte que le Jury aurait nécessairement dénaturé sa candidature.
Par une Ordonnance n° 2104091 du 25 novembre 2021, le Juge des Référés du Tribunal Administratif de ROUEN, rejette le moyen en deux temps et procède en premier lieu à une analyse in concreto de l’avis du Jury et de sa motivation, le jugeant suffisant au regard des exigences de la jurisprudence.
Dans un second temps, le juge des référés considère que la présentation en « groupes de couleurs » faite par l’AMO dans son document d’analyse technique ne traduit aucune méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence :
« 16. En dernier lieu, il résulte de l’instruction que le jury de concours a recouru à la méthode dite « des avocats » à partir du deuxième tour de vote et que la société requérante a été éliminée dès le premier tour de vote qui s’est déroulé à main levée. Dans ces conditions, la société A. 26 Architectures n’a pu être lésée par le manquement qu’elle invoque relatif à la méthode dite « des avocats » et à l’absence, selon elle, de réel débat des membres du jury. Elle n’est pas davantage susceptible d’avoir été lésée par la présentation commune au jury des candidatures préalablement classées en trois groupes de couleur, qui ne constitue pas, au demeurant, un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de la méthode de sélection des candidatures doit être écarté. »
Ce faisant, le juge des référés valide la possibilité pour l’acheteur public de remettre à un Jury de concours une sorte de « pré-analyse » des candidatures réalisée par un AMO, sans que cela puisse être automatiquement considéré comme méconnaissance des règles confiant au seul Jury le soin de procéder à une sélection des candidatures admises à participer au concours, ou même que le Jury soit lié par les conclusions de cette analyse à peine de dénaturation ainsi que le soutenait le Bureau d’Architectures requérant.
Une telle décision est de nature à sécuriser quelque peu les acheteurs publics qui ont recours, dans le cadre de procédures de sélection réunissant un nombre conséquent de candidatures, à une telle aide technique préalable.
Toutefois, outre l’absence de garanties pour l’acheteur de la parfaite impartialité de tels AMO spécialisés intervenant le plus souvent et logiquement dans le même domaine professionnel que les candidats, le risque juridique principal est bien que l’acheteur se sente lié par la position de l’AMO, alors même qu’il lui appartient en tout état de cause de procéder à sa propre analyse des mérites respectifs des candidatures et le cas échéant, comme c’est le cas en matière de concours de maîtrise d’œuvre, d’élaborer un avis motivé qui ne saurait se limiter à une reprise de celui de l’AMO.
Dès lors, on ne saurait malgré tout que conseiller aux acheteurs publics la plus grande prudence dans le recours à de telles préanalyses des offres ou des candidatures, qui ne peuvent en aucun cas se substituer à l’avis d’un Jury ou même à un rapport d’analyse des offres établi par l’acheteur.
Sébastien THOINET
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